Les temps changent ! En effet l’exposition événement de cette fin d’année 2004 ne se déroule pas au Grand Palais ni au Musée d’Orsay, et ne concerne ni l’un des maîtres de l’impressionnisme ni l’un des chefs de file du surréalisme. L’exposition qui se tient actuellement à la Monnaie de Paris jusqu’au 13 mars 2005 consacre deux géant de la BD et de l’animation : Moebius et Miyazaki Hayao. La première salle de l’exposition permet aux visiteurs de découvrir le parcours des artistes sur deux petits couloirs. Chacun des films, BD, travaux des deux auteurs, est traité sur une ou deux vitrines. Pour Miyazaki, on découvre entre autre de nombreux dessins de conception, notamment de son dernier film Le Château Ambulant, mais aussi une couverture du magazine Animage de juillet 1987 sur laquelle de nombreux Totoro descendent du chat bus, ou encore deux sublimes décors du Château dans le ciel. Le « couloir » Moebius quant à lui nous propose des croquis et des dessins de ses nombreuses BD (Blueberry, Incal…) ainsi que des « essais » pour ses diverses collaborations cinématographique (Alien, Abyss…).
Ces couloirs se rejoignent dans une pièce consacrée au rapprochement des deux artistes à travers l’influence qu’a eu Arzach (76) de Moebius, sur le film Nausicaä réalisé par Miyazaki en 1984. Même si les œuvres présentées dans cette pièce sont extraordinaires - notamment de très belles illustrations d’un projet abandonné de Miyazaki (Sengoku Maja) -, cette salle n’est pas pour autant la plus réussie, car même si on peut sentir l’influence de Arzach sur Nausicaä, mettre les œuvres en face les unes des autres n’ajoute finalement rien à leur beauté. On regrettera aussi, alors que tous les textes accompagnant l’exposition sont parfaits, que dans celui présentant cette pièce il est dit « … puisque grâce à ses œuvres, les domaines de la BD et de l’animation vont basculer dans une dimension inédite : celle des adultes ». Ces artistes sont suffisamment importants pour que l’on ne leur fasse pas porter des fardeaux trop lourds. Ils n’ont pas fait passer ces arts dans le monde des adultes puisque ceux-ci l’étaient déjà depuis fort longtemps ! Ils font juste, et c’est déjà énorme en soi, partie de ces artistes qui pérennisent cette idée que la BD et le cinéma d’animation sont aussi pour les adultes, comme l’on fait avant eux des artistes comme Winsor Mc Cay, Norman Mc Laren, Ralph Bakshi et tant d’autres…
Le dispositif adopté pour les cinq salons suivants est beaucoup plus réussi : chaque pièce contient un arc de cercle, à l’intérieur duquel se trouvent les œuvres d’un artiste, l’autre artiste ayant droit à la paroi extérieure. Cela permet aux visiteurs de véritablement apprécier chaque œuvre sans essayer de comparer avec les autres œuvres. Les organisateurs ont de plus eu l’excellente idée de donner à chacun des salons un thème ( La Terre Nourricière, Dans les airs, Les Mondes Invisibles, Les Créatures, Exquise esquisse, Du trait à la forme ), ce qui permet finalement d'unir parfaitement les deux artistes. Et c’est à partir du moment où vous êtes libéré de ce rapprochement par la scénographie, que celui-ci apparaît alors encore plus clairement. Car beaucoup plus qu’une simple inspiration, les deux artistes voyagent dans un monde semblable, un univers où la nature sous toute ses formes a une importance primordiale et est sillonnée par d’étranges créatures. Tout cela pourtant dans un univers graphique assez différent qui est du au fait que l’un, Moebius, exerce son talent, avant tout, pour la B.D. et le cinéma prises de vues réelles, alors que l’autre, Miyazaki, travaille dans le monde de l’animation.
Dans ces cinq salles vous pourrez apprécier le talent de ces deux artistes aux travers de nombreuses œuvres. On peut y découvrir des études de Moebius pour Disneyland, pour des salles de jeux Sony et de nombreux films (même le Cinquième Elément devient beau sous la patte de cet artiste !). En ce qui concerne Miyazaki, vous pourrez apprécier de nombreux dessins et cellulosde tous ses films de la période Ghibli (de Nausicaä au Château Ambulant). Mais l’un des clous de l’exposition se trouve dans la dernière pièce, tout au fond, dans une petite vitrine presque au ras du sol que l’on pourrait quasiment louper ! Et pourtant il faut se pencher sur cette vitrine, car à l’intérieur se trouve le fameux storyboard créé par Moebius pour le film Dune, l’adaptation du célèbre roman qui devait être réalisée par Jodorowsky. Certes c’est un peu frustrant car on n’en voit que deux pages sur les 400, mais c’est un vrai bonheur de le voir et ainsi d’imaginer ce qu’aurait pu être ce film ! Espérons qu’un jour quelqu’un ait l’idée de filmer ce storyboard… Plus qu’un rapprochement, cette exposition devrait pouvoir permettre aux fans de Moebius de découvrir le talent de Miyazaki et inversement. Et pour ceux qui aiment les deux, il vous faudra quelques heures ou plusieurs visites pour pleinement apprécier chaque œuvre présentée dans l’exposition !Décidemment Franquin à La Villette, Miyazaki et Moebius à la Monnaie de Paris. Les temps changent vraiment !